Un délégué syndical présent au cours d’un entretien préalable au licenciement peut, sans commettre de délit, enregistrer les propos tenus à cette occasion sans en informer l’employeur. Dans un arrêt du 12 avril dernier, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a approuvé le raisonnement de juges qui avaient refusé la qualification « d’atteinte à l’intimité de la vie privée par enregistrement de paroles tenues à titre privé ou confidentiel ». Pourquoi la Cour de cassation a donné raison au salarié ?
L’élu, agent technique, avait assisté un salarié durant un entretien préalable au licenciement, l’une des trois étapes requises pour la validité de la procédure de ce mode de rupture du contrat de travail, après la convocation à ce rendez-vous et avant la notification du licenciement par lettre recommandée avec avis de réception.
Le directeur général présent en face, enregistré à son insu, avait déposé « plainte » et s’était « constitué partie civile » contre le délégué syndical. Le juge d’instruction avait rendu une ordonnance de non-lieu, dont le plaignant avait fait appel en se tournant vers la Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz, sans succès.
Devant la Cour de cassation, juridiction suprême de l’ordre judiciaire, le dirigeant avait ensuite argué notamment que :
« la caractérisation du délit d’atteinte à l’intimité de la vie d’autrui prévu par l’article 226-1 1°, du Code pénal suppose la captation, l’enregistrement ou la transmission de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de la personne qui les prononce » ;
cette infraction « est constituée sans qu’il soit nécessaire que les paroles captées, enregistrées ou transmises soient de nature intime ».
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur. Selon elle, la cour d’appel a eu raison d’« énonce[r] que l’entretien entre dans le cadre de la seule activité professionnelle du plaignant ». « Les juges concluent que son enregistrement n’est, dès lors, pas de nature à porter atteinte à l’intimité de sa vie privée, quand bien même les propos enregistrés qu’il incrimine auraient été tenus dans un lieu privé », est-il écrit dans l’arrêt de la juridiction suprême.
Un enregistrement à l’insu de l’employeur peut être utilisé
Une telle décision « ne constitue pas un changement de jurisprudence », explique jeudi 14 septembre à Merci pour l’info Diane Veziès, avocate au groupement de cabinets Hiro. « Elle maintient le principe selon lequel l’enregistrement de propos qui ne sont pas relatifs à l’intimité du plaignant, même à l’insu de ce dernier, ne constitue pas une violation de la vie privée », rappelle notre interlocutrice. Des propos relatifs à la vie privée peuvent porter, par exemple, sur la famille, la santé ou la situation financière de la personne enregistrée.
En cas de contentieux entre un salarié et un employeur sur un licenciement, un enregistrement – ou toute preuve obtenue à l’insu de l’autre partie –, « n’est pas nécessairement irrecevable », explique Me Veziès. Notre interlocutrice évoque, à cet égard, un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 18 janvier 2023, suivant lequel l’enregistrement réalisé à l’insu de l’employeur est admissible. Sous deux conditions : cet enregistrement est « indispensable pour assurer le droit à la preuve du salarié », et sa production ne doit pas être disproportionnée au regard du but poursuivi, explique l’avocate.
La Cour de cassation a confirmé ce raisonnement dans trois arrêts du 8 mars 2023. « Le salarié peut apporter une preuve de manière déloyale si cela lui permet de protéger ses droits de la défense, par exemple si l’employeur tient des propos racistes, sexistes ou discriminants ou si l’employeur prend une mesure de rétorsion à l’égard d’un lanceur d’alerte », commente Diane Veziès.
Un enregistrement à l’insu du salarié peut être utilisé
Symétriquement, l’employeur bénéficie du droit de produire une preuve obtenue de manière déloyale, comme un enregistrement réalisé à l’insu d’un salarié.
L’avocate fait un parallèle avec la solution d’un arrêt rendu le 6 septembre par la Chambre sociale de la Cour de cassation concernant le recours à « un stratagème de l’employeur, soit le recours à un client mystère ». Cette preuve est recevable en justice, sous réserve que le salarié ait été informé de la possibilité de ce mode de contrôle et de ses modalités.
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